lundi 8 novembre 2010

Faut-il écrire pour dénoncer ?


En essayant de répondre à cette question, il m’est venu un certain nombre de réflexions qui sont au cœur de mon travail d’écriture. J’aimerais les partager avec vous, afin que nous réfléchissions ensemble à la question de l’engagement en littérature.
Personnellement, je ne prétends pas dénoncer dans mon travail la dictature de Pinochet. A-t-on vraiment besoin de dénoncer Pinochet aujourd’hui ? Je ne pense pas, je serais même assez méfiant à l’égard d’un roman qui se fixerait un tel objectif. J’y verrais  un moyen facile d’épouser une bonne cause en essayant d’en tirer un certain bénéfice personnel. C’est-à-dire une opération limitée sur le plan littéraire et contestable sur le plan moral. Nous en avons des exemples. Cette dénonciation du tyran a toujours comme pendant l’exaltation du martyr ou la célébration du héros. Il y a une demande sociale très forte de ce genre de fiction, le cinéma  la satisfait parfois, une certaine littérature aussi.  Selon cette vision manichéenne, la fiction serait une manière vivante, émouvante, édifiante  de faire le tri, ( un tri que l’histoire et l’idéologie dominante ont en réalité déjà fait ), un moyen  donc de donner vie aux bons et aux mauvais rôles que l’histoire s’est chargée de distribuer.
Vous l’aurez compris, mon but n’est pas celui-là. Je voudrais montrer les opposants à Pinochet sous une lumière moins éclatante, plus réelle, tels qu’ils ont probablement été, sans les idéaliser, sans en faire des héros, tout en montrant l’héroïsme qui a pu être le leur. Et par la même occasion de sonder les partisans de Pinochet sans les diaboliser, sans en faire de crapules ou de malades mentaux, mais nos semblables, des gens comme vous et moi, ni plus ni moins. L’idée que le mal ne provient pas seulement de l’extérieur, mais qu’il est aussi en nous, constitue, à mon sens, l’un des nerfs de l’expérience littéraire. La littérature nous rend coupable et nous libère par la même occasion.
Mon propos est de décrire de la manière la plus juste possible une histoire singulière qui n’a aucune valeur d’exemple,  la vie d’une femme qui à un moment s’est opposée au régime de Pinochet. Mais sa vie ne se résume pas à cela, sa vie est prise dans un écheveau de sens qui ne se laisse pas résumer à sa position politique, même si celle-ci l’a conduite à la mort.  
J’espère que ces quelques réflexions contribueront à nourrir notre échange au cours de cette année.

Bernardo Toro

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